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Textes écrits par des participants à mes ateliers et à mes stages d'écriture, manifestations littéraires, concours... 

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Félicien B.
11 décembre 2025
Textes d'ateliers

DRIIING ! DRIIING ! L'énorme écran-mur dans la cuisine-salon de Madame Fraise illumine rouge-vert-bleu, et une voix douce mécanique annonce « Appel de la Californie…accepter ou refuser ? » Sa fille la petite Framboise, rouge-rose-intense, saute de son pouf poire jaune, et appuie sur le gros bouton é...

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Invité - Claire Pasquié Aimable
12 novembre 2025
J'ai beaucoup apprécié l'écriture et la composition. Les mots voisins sont amenés avec virtuosité si...
Sylvie Reymond Bagur Aimable
10 novembre 2025
Une troublante et inquiétante composition à deux voies explorant les nuances des synonymes du mot Ai...
Invité - Malclès Anne-Marie To.pierre
23 octobre 2025
Bravo, ce texte m'a beaucoup touché, la tension est magnifique ainsi que le thème.Anne-Marie Malclès

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14 décembre 2025
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Je retrouve chez Aragon la fascination que j’éprouve pour les auteurs chez qui, selon la phrase de Baudelaire, « au fond du plus noir des puits, tremble le ciel bleu. »
04 décembre 2025
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 La focalisation externe, un outil littéraire spécifique   Rappelons que la focalisation externe consiste à raconter d'un point de vue sans intériorité humaine, elle donne des faits bruts, se bornant à décrire leur déroulement concret. Le narrateur semble privé de toute capacité d'interprétation des phénomènes qui lui parviennent. Il décrit objets ou personnages sous leur aspect strictement extérieur, il reste objectif comme un scientifique devant une expérience et n'accède pas aux pensées ou sentiments des personnages.   On peut avoir une image de ce narrateur neutre et distant en pensant aux enregistrement  d'une caméra de surveillance. Le narrateur est "extérieur" à la scène racontée et restitue les détails concrets comme un témoin impartial.   Il faut noter qu'il existe peu, ou pas si on la prend au sens le plus strict, d'œuvre un peu conséquente qui parvienne à maintenir une écriture en focalisation externe dans sa totalité.    Parmi les trois types de focalisation définis par Gérard Genette (voir l'article Focalisation et point de vue ) la focalisation externe est celle qui peut sembler la  moins "naturelle" ou spontanée. Quand on la rencontre, que l'on sache la reconnaitre ou la nommer, là n'est pas l'important, elle déstabilise le lecteur, ou tout au moins le sort de ses habitudes (à moins bien sûr qu'il soit un grand lecteur du Nouveau Roman, des polars amréicains du XXe ou des nouvelles de Carver). Elle interroge à la fois sur ses spécificités stylistiques, sur la recherche et les objectifs de l'auteur et les effets qu'elle produit. C'est donc la focalisation externe qui met le plus en évidence les liens entre stratégies d'écriture, façon de raconter et vision de la société et de l'humanité de l'auteur. Elle relie de façon passionnante choix technique et conception philosophique ou idéologique.   Caractéristiques et marqueurs stylistiques de la focalisation externe Le narrateur n'a pas accès aux pensées, émotions ou motivations des personnages. Le narrateur ne sait que ce qu'il voit et il n'en pense rien. Il en sait moins que les personnages. Il n'explique pas pourquoi un personnage agit de telle manière, il semble simplement l'ignorer, les motivations ne semblent pas exister pour lui, il ne fait que rapporter ce qui est visible ou audible. Un texte en focalisation externe se caractérise par l'absence d'introspection : pas de monologue intérieur ou réduit au minimum dans des acceptions moins strictes. Le récit ne révèle jamais les pensées et les sentiments des personnages directement, mais les laisse deviner au travers de leurs gestes ou de leurs paroles restituées de façon directes. Par exemple un personnage n'est pas désigné comme  "en colère", mais "il serre les poings".    Cette recherche d'objectivité se fait notamment par un rapport spécifique au vocabulaire : il faut choisir des mots neutres, non qualiatifs, non expressifs, non émotionnels. D'où l'importance des verbes d'action et de perception sensorielle neutres. Le texte privilégie des descriptions factuelles, basées sur les sens (vue, ouïe), sans interprétation psychologique. Par exemple : "Il entra dans la pièce, posa son chapeau sur la table et s'assit sans un mot." L'on note aussi l'absence de verbes faisant référence à une vie intérieure :  pas d'expressions comme "il pensa", "il se sentit triste" ou "elle regrettait". Le lecteur peux tenter d'inférer cette vie intérieure, mais uniquement à partir des comportements observables. D'où une impression voulue de froideur et d'impersonnalité : cette impression est-elle dépassable ou constitutive de la réalité humaine ? Qu'est-ce qui se cache derrière l'absence apparente d'intériorité ? Les réponses dépendent des motivations qui ont conduit l'auteur à ce choix si particulier. Nous y reviendrons dans le bref historique de la focalisation externe. Même si c'est une constante de la focalisation externe, le niveau d'exigence en matière de neutralité du vocabulaire est variable. Certiains auteurs  peuvent placer son curseur très haut : Par exemple préférer "plaie", plus factuelle, médicale à "blessure" qui comprend une dimension interne de douleur et connote quelque chose comme un acte violent. De même, "Manger" est neutre, factuel. On peut "manger en grande quantité et avaler rapidement son repas", mais "Bouffer" implique un jugement, un regard humain : le verbe sera, dans une approche stricte, recalé !   Même en dehors de cette recherche de neutralité, ces différences d'effet produit par le choix d'un mot ou d'un verbe sont intéressantes à remarquer : elles "teintent" émotionnellement différemment  le texte, un seul mot comme « douleur » déclenche un mouvement spontané, même minime, d'empathie.   Après toutes ces restrictions, qu'est-ce qu'il reste? Que mettre dans le texte à la place de l'empathie, des commentaires du narrateur, des explications, des pensées ? Le récit se veut objectif, il va donc se concentrer sur ce qui peut être écrit de façon objective (en tout cas en apparence, nous verrons que cette objectivité, n'est pas LA restitution fidèle de la réalité, mais une stratégie de restitution du réel parmi d'autres). Il privilgie donc : les actions et les gestes décrits de façons objectives :  la présence des corps, mais comme des objets, des mouvements dont le sens n'est pas donné, des machines, des mécanismes. Exemple : Elle lève la tête, regarde au loin.     Et non :    Elle lève la tête pour regarder au loin.  les dialogues sans incises explicatives d'émotions ou d'intentions. Ainsi un élément de dialogue comme : Tais-toi. ne peut être suivi de "vociféra-t-il." les descriptions (des humains, objets...) faites de détails objectifs sans évaluation ni jugement.   Pourquoi choisir la focalisation externe ?  Même si cette façon de raconter a été théorisée de façon précise par Gérard Genette en 1972 dans Figures III, elle existait déjà depuis l'Antiquité sous des formes qui entrent de façon plus ou moins complète dans sa définition. Le désir d'objecivité, de neutralité du regard, fait donc partie des "envies littéraires" dès la naissance de notre littérature. Sa mise en place dans le texte a pris des formes diverses selon les motivations esthétiques, philosophiques et idéologiques des auteurs qui ont évoluées dans le temps tout en restant plus ou moins superposables.   Focalisation externe : des racines antiques qui se prolongent à l'époque médiévale et classique   Le désir de limiter le récit à des observations objectives et externes (actions, gestes, dialogues, sans accès aux pensées intérieures) est présent dans des œuvres anciennes, traversant les traditions classiques et épiques, souvent sous forme de descriptions factuelles ou de narrations distantes. En voici quelques exemples : Dès l'Antiquité, des éléments de focalisation externe apparaissent dans les épopées et les récits philosophiques préfigurant le réalisme moderne, exemples que Gérard Genette évoque pour inscrire sa classification des focalisations dans la tradition littéraire longue. De nombreux chapitres de L'Iliade et de L'Odyssée d'Homère (VIIIe siècle av. J.-C.) commencent  "in medias res" (au milieu des choses) technique d'Incipit prisée par la littérature contemporaine (à retrouver en détail dans l'article Incipit, comment commencer?) et comportent des suites d'actions racontées de façon très objectives.   -     Voici un extrait  de l'épisode de l'aveuglement du Cyclope dans L'Odyssée d'Homère.  La scène se déroule sans quasiment aucune indication sur les pensées, intentions ou sentiments des personnages. J'ai souligné les courts passages qui n'entrent pas dans une focalisation externe stricte. Le vocabulaire ne l'est pas de façon aussi précise que dans certains textes du XXe, mais la description de l'action gagne par ce choix de l'extériorité une force et une efficacité indéniable :    "Aussitôt je mis l'épieu sous la cendre, pour l'échauffer ; et je rassurai mes compagnons, afin qu'épouvantés, ils ne m'abandonnassent pas. Puis, comme l'épieu d'olivier, bien que vert, allait s'enflammer dans le feu, car il brûlait violemment, alors je le retirai du feu. Et mes compagnons étaient autour de moi, et un Daimôn nous inspira un grand courage. Ayant saisi l'épieu d'olivier aigu par le bout, ils l'enfoncèrent dans l'œil du Kyklôps, et moi, appuyant dessus, je le tournais, comme un constructeur de nefs troue le bois avec une tarière, tandis que ses compagnons la fixent des deux côtés avec une courroie, et qu'elle tourne sans s'arrêter. Ainsi nous tournions l'épieu enflammé dans son œil. Et le sang chaud en jaillissait, et la vapeur de la pupille ardente brûla ses paupières et son sourcil ; et les racines de l'œil frémissaient, comme lorsqu'un forgeron plonge une grande hache ou une doloire dans l'eau froide, et qu'elle crie, stridente, ce qui donne la force au fer. Ainsi son œil faisait un bruit strident autour de l'épieu d'olivier. Et il hurla horriblement, et les rochers en retentirent. Et nous nous enfuîmes épouvantés. Et il arracha de son œil l'épieu souillé de beaucoup de sang, et, plein de douleur, il le rejeta."   -    Autre exemple célèbre, le bouclier d'Achille dans le Chant XVIII de L'Iliade d'Homère, lui aussi correspond à une focalisation externe presque stricte : le narrateur se limitant à ce qui est visible ou audible, sans plonger dans les pensées des héros.    "Ayant ainsi parlé, il la quitta, et, retournant à ses soufflets, il les approcha du feu et leur ordonna de travailler. Et ils répandirent leur souffle dans vingt fourneaux, tantôt violemment, tantôt plus lentement, selon la volonté de Hèphaistos, pour l'accomplissement de son oeuvre. Et il jeta dans le feu le dur airain et l'étain, et l'or précieux et l'argent. Il posa sur un tronc une vaste enclume, et il saisit d'une main le lourd marteau et de l'autre la tenaille. Et il fit d'abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d'argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d'images. Il y représenta la terre et l'Ouranos, et la mer, et l'infatigable Hélios, et l'orbe entier de Sélènè, et tous les astres dont l'Ouranos est couronné : les Plèiades, les Hyades, la force d'Oriôn, et l'Ourse, qu'on nomme aussi le Chariot, qui se tourne sans cesse vers Oriôn, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l'Okéanos. Et il fit deux belles cités des hommes. Dans l'une on voyait des noces et des festins solennels. Et les épouses, hors des chambres nuptiales, étaient conduites par la ville, et de toutes parts montait le chant d'hyménée, et les jeunes hommes dansaient en rond, et les flûtes et les kithares résonnaient, et les femmes, debout sous les portiques, admiraient ces choses. Et les peuples étaient assemblés dans l'agora, une querelle s'étant élevée. Deux hommes se disputaient pour l'amende d'un meurtre. L'un affirmait au peuple qu'il avait payé cette amende, et l'autre niait l'avoir reçue. Et tous deux voulaient qu'un arbitre finît leur querelle, et les citoyens les applaudissaient l'un et l'autre. Les hérauts apaisaient le peuple, et les vieillards étaient assis sur des pierres polies, en un cercle sacré. Les hérauts portaient des sceptres en main ; et les plaideurs, prenant le sceptre, se défendaient tour à tour. Deux talents d'or étaient déposés au milieu du cercle pour celui qui parlerait selon la justice.Puis, deux armées, éclatantes d'airain, entouraient l'autre cité. Et les ennemis offraient aux citoyens ou de détruire la ville ou de la partager, elle et tout ce qu'elle renfermait. Et ceux-ci n'y consentaient pas, et ils s'armaient secrètement pour une embuscade, et, sur les murailles, veillaient les femmes, les enfants et les vieillards. Mais les hommes marchaient, conduits par Arès et par Athènè, tous deux en or, vêtus d'or, beaux et grands sous leurs armes, comme il était convenable pour des Dieux ; car les hommes étaient plus petits. Et, parvenus au lieu commode pour l'embuscade, sur les bords du fleuve où boivent les troupeaux, ils s'y cachaient, couverts de l'airain brillant." Lire la totalité de l'extrait ici : Le bouclier d'Achille - Plus étonnant encore, l'on peut considérer Platon comme un précurseur de Gérard Genette concernant la focalisation externe !  Dans le Livre III de La République, Platon distingue en effet la mimésis (imitation directe, où le narrateur se fait passer pour le personnage en adoptant sa voix, comme dans les dialogues ou le drame) de la diégèse, proche de l'idée de focalisation externe (narration extérieure, où le conteur relate les événements en restant à sa place, sans imitation).   Cette distinction vise à analyser les modes de récit poétiqe, et Platon illustre cela en réécrivant une scène de L'Iliade de façon extérieure pour montrer la différence.  On peut retrouver ici une distinction qui revient si souvent en atelier d'écriture :  la mimésis correspond au "montrer" (mettre sous les yeux du lecteur comme s'il y était), tandis que la diégèse équivaut au "raconter", que je remplace pour le différencier plus nettement par "expliquer" (faire un compte rendu extérieur qui va synthétiser et faire appel à la compréhension du lecteur et non à l'identification ou l'immersion) en condenseant les actions observables, éliminant les pensées, émotions et certains  aspects sensoriels jugés non indispensables.   Extrait de La République : "Si en effet Homère, après avoir dit que Chrysès vint avec la rançon de sa fille supplier les Achéens et en particulier les rois, continuait à parler, non pas comme s’il était devenu Chrysès, mais comme s’il était toujours Homère, tu comprends bien qu’il n’y aurait plus imitation, mais simple récit. La forme en serait à peu près celle-ci, en prose du moins ; car je ne suis pas poète. « Le prêtre étant venu pria les dieux de leur accorder de prendre Troie en les préservant d’y périr, et il demanda aux Grecs de lui rendre sa fille en échange d’une rançon et par respect pour le dieu. Quand il eut fini de parler, tous les Grecs témoignèrent leur déférence et leur approbation ; seul, Agamemnon se fâcha et lui intima l’ordre de s’en aller et de ne plus reparaître ; car son sceptre et les bandelettes du dieu ne lui seraient d’aucun secours ; puis il ajouta que sa fille ne serait pas délivrée avant d’avoir vieilli avec lui à Argos ; il lui enjoignit de se retirer et de ne pas l’irriter, s’il voulait rentrer chez lui sain et sauf. Le vieillard entendant ces menaces eut peur et s’en alla sans rien dire ; mais une fois loin du camp, il adressa d’instantes prières à Apollon, l’invoquant par tous ses surnoms, et le conjura, s’il avait jamais eu pour agréables les temples que son prêtre avait construits et les victimes qu’il avait immolées en son honneur, de s’en souvenir et de lancer ses traits sur les Grecs pour leur faire expier ses larmes. » bVoilà, mon ami, comment se fait un récit simple, sans imitation." Pour lire l'extrait entier de la République :Platon, précurseur de Genette et de sa focalisation externe ?    Au Moyen Âge, à la Renaissance, la focalisation externe apparaît dans des récits épiques ou picaresques, souvent pour des motifs d'efficacité narrative et parfois éthique pour éviter les épanchements considérés comme indiscrets ou inappropriés. Citons une œuvre comme Orlando furioso (1516) de Le Tasse au XVIe siècle dans lesquels les narrations épiques et guerrières incluent des passages externes  À l'Âge classique, la focalisation externe apparait dans les romans et contes pour créer de l'ambiguïté ou une distance morale, souvent dans des récits fortement condensés comme dans certains passages du Don Quichotte (1605-1615) et des Nouvelles exemplaires (1613) de Miguel de Cervantes. Voici un exemple un peu curieux dans lequel la répétition finale semble être là pour remplacer les motivations internes non exprimées : « Le mari entre, et trouve la femme avec un galant ; il se cache, et voit tout ce qui se passe ; la femme dit à son amant : "Ôtons-nous d'ici, car mon mari peut venir" ; l'amant répond : "N'ayez crainte, il est parti" ; la femme dit : "Il est vrai, il est parti" ; et l'amant : "Il est parti, il est parti".    Dans Manon Lescaut (1731) de l'Abbé Prévost, une forme d'écriture externe est employée pour dissimuler les sentiments d'un personnage, pour faire sentir une ambiguïté, un questionnement éthique sans révéler les pensées qu'ils suscitent, procédé typique des romans du XVIIIe siècle.  Voici un extrait du début du livre illustrant la focalisation externe : le narrateur, un homme de qualité décrit objectivement les actions, apparences et dialogues  sans révéler les sentiments ou motivations internes des protagonistes (des Grieux et Manon). Cela crée une ambiguïté éthique – Manon apparaît comme une "fille de joie" déportée, des Grieux comme un jeune homme affligé – l'extériorité suscite la curiosité, le lecteur cherche à comprendre le positionnement moral des proragonistes. Même si la focalisation externe n'est pas ici stricte, le choix de la distance, de l'extériorité est nettement perceptible.    "Je fus surpris en entrant dans ce bourg, d'y voir tous les habitants en alarme. Ils se précipitaient de leurs maisons pour courir en foule à la porte d'une mauvaise hôtellerie, devant laquelle étaient deux chariots couverts. Les chevaux, qui étaient encore attelés et qui paraissaient fumants de fatigue et de chaleur, marquaient que ces deux voitures ne faisaient qu'arriver. Je m'arrêtai un moment pour m'informer d'où venait le tumulte ; mais je tirai peu d'éclaircissement d'une populace curieuse, qui ne faisait nulle attention à mes demandes, et qui s'avançait toujours vers l'hôtellerie, en se poussant avec beaucoup de confusion. Enfin, un archer revêtu d'une bandoulière, et le mousquet sur l'épaule, ayant paru à la porte, je lui fis signe de la main de venir à moi. Je le priai de m'apprendre le sujet de ce désordre. Ce n'est rien, monsieur, me dit-il ; c'est une douzaine de filles de joie que je conduis, avec mes compagnons, jusqu'au Havre-de-Grâce, où nous les ferons embarquer pour l'Amérique. Il y en a quelques-unes de jolies, et c'est apparemment ce qui excite la curiosité de ces bons paysans. J'aurais passé après cette explication, si je n'eusse été arrêté par les exclamations d'une vieille femme qui sortait de l'hôtellerie en joignant les mains, et criant que c'était une chose barbare, une chose qui faisait horreur et compassion. De quoi s'agit-il donc ? lui dis-je. Ah ! monsieur, entrez, répondit-elle, et voyez si ce spectacle n'est pas capable de fendre le cœur ! La curiosité me fit descendre de mon cheval, que je laissai à mon palefrenier. J'entrai avec peine, en perçant la foule, et je vis, en effet, quelque chose d'assez touchant. Parmi les douze filles qui étaient enchaînées six par six par le milieu du corps, il y en avait une dont l'air et la figure étaient si peu conformes à sa condition, qu'en tout autre état je l'eusse prise pour une personne du premier rang. Sa tristesse et la saleté de son linge et de ses habits l'enlaidissaient si peu que sa vue m'inspira du respect et de la pitié. Elle tâchait néanmoins de se tourner, autant que sa chaîne pouvait le permettre, pour dérober son visage aux yeux des spectateurs. L'effort qu'elle faisait pour se cacher était si naturel, qu'il paraissait venir d'un sentiment de modestie. Comme les six gardes qui accompagnaient cette malheureuse bande étaient aussi dans la chambre, je pris le chef en particulier et je lui demandai quelques lumières sur le sort de cette belle personne. Il ne put m'en donner que de fort générales. Nous l'avons tirée de l'Hôpital, me dit-il, par ordre de M. le Lieutenant général de Police. Il n'y a pas d'apparence qu'elle y eût été renfermée pour ses bonnes actions. Je l'ai interrogée plusieurs fois sur la route, elle s'obstine à ne me rien répondre. Mais, quoique je n'aie pas reçu ordre de la ménager plus que les autres, je ne laisse pas d'avoir quelques égards pour elle, parce qu'il me semble qu'elle vaut un peu mieux que ses compagnes. Voilà un jeune homme, ajouta l'archer, qui pourrait vous instruire mieux que moi sur la cause de sa disgrâce ; il l'a suivie depuis Paris, sans cesser presque un moment de pleurer. Il faut que ce soit son frère ou son amant."    La focalisation externe au XIXe  Après la prorité lyrique et l'épanchement du sentiment intérieur caractéristiques du romantisme, l'utilisation de la focalisation externe revient en force avec l'émergence du réalisme et du naturalisme de Balzac à Zola. Elle devient un outil pour des auteurs qui veulent faire, au travers de la littérature, une étude sociale, une étude de moeurs. La focalisation externe et son exigence d'ancrer le récit dans le tangible s'accorde parfaitement avec cette prétention au réalisme objectif et à cet idéal quasi documentaire. Parmi d'innombrables exemples, l'on peut citer Jules Verne qui utilise l'objectivité pour raconter aventures et voyages avec une dimension scientifique. Le XIXe est l'épque de la naissance du positivisme, de l'essor de la photographie et de la naissance du cinéma, autant de phénomènes qui privilégient et orientent vers tout ce qui est du domaine de l'observable.   On en trouve des exemples chez chez Victor Hugo (Les Misérables, 1862),comme dans cette ouverture montrant Jean Valjean, voyageur anonyme. Le récit se limite à des observations externes qui donnent au personnage une forte authenticité teintée de mystère. Nous pouvons aussi remarquer comment des dialogues sans incises ni commentaires contribuent à cette impression d'objectivité et d'extériorité. "Dans les premiers jours du mois d’octobre 1815, une heure environ avant le coucher du soleil, un homme qui voyageait à pied entrait dans la petite ville de D... Les rares habitans qui se trouvaient en ce moment à leurs fenêtres ou sur le seuil de leurs maisons regardaient ce voyageur avec une sorte d’inquiétude. Il était difficile de rencontrer un passant d’un aspect plus misérable. C’était un homme de moyenne taille, trapu et robuste, dans la force de l’âge. Il pouvait avoir quarante-six ou quarante-huit ans. Une casquette à visière de cuir rabattue cachait en partie son visage brûlé par le soleil et le hâle, et ruisselant de sueur. Sa chemise de grosse toile jaune, rattachée au col par une petite ancre d’argent, laissait voir sa poitrine velue; il avait une cravate tordue en corde, un pantalon de coutil bleu usé et râpé, blanc à un genou, troué à l’autre, une vieille blouse grise en haillons, rapiécée à l’un des coudes d’un morceau de drap vert cousu avec de la ficelle, sur le dos un sac de soldat fort plein, bien bouclé et tout neuf, à la main un énorme bâton noueux, les pieds sans bas dans des souliers ferrés, la tête tondue et la barbe longue. La sueur, la chaleur, le voyage à pied, la poussière, ajoutaient je ne sais quoi de sordide à cet ensemble délabré. Les cheveux étaient ras et pourtant hérissés, car ils commençaient à pousser un peu, et semblaient n’avoir pas été coupés depuis quelque temps. Personne ne le connaissait. Ce n’était évidemment qu’un passant. D’où venait-il? Du midi, des bords de la mer peut-être, car il faisait son entrée dans D... par la même rue qui sept mois auparavant avait vu passer l’empereur Napoléon allant de Cannes à Paris. Cet homme avait dû marcher tout le jour : il paraissait très fatigué. Des femmes de l’ancien bourg qui est au bas de la ville l’avaient vu s’arrêter sous les arbres du boulevard Gassendi et boire à la fontaine qui est à l’extrémité de la promenade. Il fallait qu’il eût bien soif, car des enfans qui le suivaient le virent encore s’arrêter et boire, deux cents pas plus loin, à la fontaine de la place du marché. Arrivé au coin de la rue Poichevert, il tourna à gauche et se dirigea vers la mairie. Il y entra, puis sortit un quart d’heure après. Un gendarme était assis près de la porte, sur le banc de pierre où le général Drouot monta le 4 mars pour lire à la foule effarée des habitans de D... la proclamation du golfe Juan. L’homme ôta sa casquette et salua humblement le gendarme. Le gendarme, sans répondre à son salut, le regarda avec attention, le suivit quelque temps des yeux, puis entra dans la maison de ville.  Le voyageur n’avait rien vu de tout cela. Il demanda encore une fois : — Dîne-t-on bientôt? — Tout à l’heure, dit l’hôte. L’enfant revint. Il rapportait le papier. L’hôte le déplia avec empressement, comme quelqu’un qui attend une réponse. Il parut lire attentivement, puis hocha la tête et resta un moment pensif. Enfin il fit un pas vers le voyageur, qui semblait plongé dans des réflexions peu sereines. — Monsieur, dit-il, je ne puis vous recevoir. L’homme se dressa à demi sur son séant. — Comment! avez-vous peur que je ne paie pas? voulez-vous que je paie d’avance? J’ai de l’argent, vous dis-je. — Ce n’est pas cela. — Quoi donc? — Vous avez de l’argent... — Oui, dit l’homme. — Et moi, dit l’hôte, je n’ai pas de chambre. L’homme reprit tranquillement : — Mettez-moi à l’écurie. — Je ne puis. — Pourquoi? — Les chevaux prennent toute la place. — Eh bien ! repartit l’homme, un coin dans le grenier, une botte de paille. Nous verrons cela après dîner. — Je ne puis vous donner à dîner. Cette déclaration, faite d’un ton mesuré, mais ferme, parut grave à l’étranger. Il se leva. — Ah bah! mais je meurs de faim, moi. J’ai marché dès le soleil levé. J’ai fait douze lieues. Je paie. Je veux manger. — Je n’ai rien, dit l’hôte.L’homme éclata de rire et se tourna vers la cheminée et les fourneaux : — Rien ! et tout cela ? — Tout cela m’est retenu. — Par qui ? — Par ces messieurs les rouliers. — Combien sont-ils? — Douze. — Il y a là à manger pour vingt. — Ils ont tout retenu et tout payé d’avance, L’homme se rassit et dit sans hausser la voix : — Je suis à l’auberge, j’ai faim et je reste. — L’hôte alors se pencha à son oreille, et lui dit d’un accent qui le fit tressaillir : — Allez-vous-en. Lira la suite de l'extrait ici : Focalisation externe dans les Misérables de Victor Hugo    Voici un exemple classique de focalisation externe  chez Guy de Maupassant, tiré du début de la nouvelle Boule de Suif (1880). Maupassant sera, notamment par sa maitrise de l'extériorité, l'un des inspirateurs des novellistes américains du XXe. Dans cet extrait, le narrateur se limite à des descriptions objectives des mouvements de troupes et des préparatifs du voyage sans aucune incursion dans les pensées, motivations des personnages ou des habitants.  "Pendant plusieurs jours de suite des lambeaux d’armée en déroute avaient traversé la ville. Ce n’était point de la troupe, mais des hordes débandées. Les hommes avaient la barbe longue et sale, des uniformes en guenilles, et ils avançaient d’une allure molle, sans drapeau, sans régiment. Tous semblaient accablés, éreintés, incapables d’une pensée ou d’une résolution, marchant seulement par habitude, et tombant de fatigue sitôt qu’ils s’arrêtaient. On voyait surtout des mobilisés, gens pacifiques, rentiers tranquilles, pliant sous le poids du fusil ; des petits moblots alertes, faciles à l’épouvante et prompts à l’enthousiasme, prêts à l’attaque comme à la fuite ; puis, au milieu d’eux, quelques culottes rouges, débris d’une division moulue dans une grande bataille ; des artilleurs sombres alignés avec ces fantassins divers ; et, parfois, le casque brillant d’un dragon au pied pesant qui suivait avec peine la marche plus légère des lignards. Des légions de francs-tireurs aux appellations héroïques : « les Vengeurs de la Défaite — les Citoyens de la Tombe — les Partageurs de la Mort » — passaient à leur tour, avec des airs de bandits. Leurs chefs, anciens commerçants en draps ou en graines, ex-marchands de suif ou de savon, guerriers de circonstance, nommés officiers pour leurs écus ou la longueur de leurs moustaches, couverts d’armes, de flanelle et de galons, parlaient d’une voix retentissante, discutaient plans de campagne, et prétendaient soutenir seuls la France agonisante sur leurs épaules de fanfarons ; mais ils redoutaient parfois leurs propres soldats, gens de sac et de corde, souvent braves à outrance, pillards et débauchés. Les Prussiens allaient entrer dans Rouen, disait-on. Lire la suite de l'extrait ici  Focalisation externe chez Maupassant    La focalisation externe au XXe Cette chronologie de l'utilisation de la focalisation au XXe est synthétique et schématique. Dans la réalité concrète des textes et des auteurs, les motivations se chevauchent et se ramifient. On peut cependant tracer une progression générale, influencée par des courants comme le réalisme, le modernisme, l'existentialisme et le structuralisme.    Ce qui me semble important de remarquer, c'est que, d'outil narratif, général, applicable à n'importe quel récit pour produire un effet particulier, la focalisation externe, à partir de XXe, s'associe à une esthétique spécifique liée à une philosophie (le behaviorisme, l'existentialisme, l'absurde, l'antihumanisme, la lutte des classes... ), la distance, l'objectivité, la disparition de l'intériorité ne sont plus seulement des effets rhétoriques (de rythme ou production de mystère par exemple)  mais des façons d'introduire des aspects idéologiques ou philosophiques.  Ces utilisations idéologiques de la focalisation externe comme le behaviorisme conduisent à une recherche d'objectivité radicale qui en "extremise" les choix stylistiques.    Début XXe siècle (années 1920-1930)  : influence du behaviorisme et du minimalisme esthétique.Avec l'essor du modernisme et du behaviorisme psychologique qui renonce à l'étude des états mentaux pour se concentrer sur les comportements observables, les auteurs adoptent la focalisation externe pour obtenir une sorte d'objectivité "scientifique" et une économie narrative, créant du suspense via l'implicite. Cette phase marque une rupture avec le réalisme classique et la recherche de l'expression psychologique des personnages. Cette vision behaviouriste porte en elle une vision de l'homme comme un être indéchiffrable et isolé. Exemple fondateur : Dashiell Hammett (1894-1961)  scénariste et écrivain américain, il est parfois considéré comme le père du roman noir. Il a marqué des auteurs comme Hemingway, Chandler ou  Simenon qui ont d'ailleurs reconnu son influence sur leur propre écriture. Son roman noir le Faucon Maltais (1930) a popularisé un style factuel parfois qualifié de  "dur", limitant le récit du narrateur à ce qui est visible, un style qui  influencera fortement le genre policier voir notamment Jean-Patrick Manchette (La Position du tireur couché, 1981).   Voici deux extraits typiques du «Faucon maltais » et de sa focalisation externe stricte :   «Cairo se glissa derrière lui, passa le pistolet de sa main droite dans sa gauche et souleva le veston de Spade pour visiter la poche revolver. [...] Brusquement le coude s'abaissa. Cairo sauta en arrière, mais insuffisamment. Le talon droit de Spade, lourdement posé sur l'une des bottines vernies, le cloua sur place, tandis que son coude le frappait sous la pommette. Il bascula, mais le pied de Spade, posé sur le sien, le maintint en place.»   « Le téléphone se mit à sonner dans l’obscurité. Après trois appels successifs, des ressorts de lits craquèrent, des doigts tâtonnèrent sur du bois, un objet petit et dur tomba sur le tapis. Puis les ressorts craquèrent à nouveau. Une voix d’homme dit : – Allô ?... Oui, lui-même... Mort ?... Oui... Un quart d’heure... Merci ! II y eut un déclic d’interrupteur électrique. Un plafonnier suspendu par trois chaînes dorées s’illumina.»    Un autre jalon essentiel est l'écriture d'Ernest Hemingway qui développe sa "théorie de l'iceberg" dans laquelle l'usage d'une focalisation externe stricte repose sur l'idée que la force du texte réside dans ce qui est sous-jacent, ce qui n'est pas exprimé, mais que le lecteur ressent, ce qui le conduit à  explorer les possibilités d'une esthétique littéraire minimaliste. Certains passages de "Pour qui sonne le glas" d'Hemingway évitent complètement les inférences émotionnelles, privilégiant une approche behaviouriste sur une focalisation externe plus souple. Pour ens avoir plus sur l'écriture de cet auteur, lire l'article :Couleurs chez Hemingway   Voici un extrait de "Hills Like White Elephants", Paradis perdu,(1927). Le thème sous-jacent, l'avortement, reste implicite, "sous la surface" du dialogue en apparence anodin, le thème perce, comme un iceberg, laissant au lecteur le soin de déduire des éléments observables les tensions émotionnelles qui ne seront pas explicitées. "Les collines, de l’autre côté de la vallée de l’Èbre, étaient longues et blanches. De ce côté-ci, il n’y avait ni ombre ni arbres, et la gare était entre deux lignes de rails, au soleil. Contre la gare, il y avait l’ombre chaude du bâtiment et un rideau de perles de bambou antimouches pendait devant la porte ouverte du café. L’Américain et la fille avec lui s’assirent à une table dehors à l’ombre. Il faisait brûlant et l’express de Barcelone arriverait dans quarante minutes. Il s’arrêtait deux minutes à cet embranchement et continuait vers Madrid. « Qu’est-ce qu’on pourrait boire ? » demanda la fille. Elle avait enlevé son chapeau et l’avait posé sur la table. « Qu’est-ce qu’il fait chaud, dit l’homme. — Buvons de la bière. — Dos cervezas, dit l’homme vers le rideau.  — Des grandes ? demanda une femme depuis la porte. — Oui. Deux grandes. » La femme apporta deux verres de bière et deux ronds de feutre. Elle posa les ronds de feutre et les verres de bière sur la table et regarda l’homme et la fille. La fille regardait au loin la ligne des collines. Elles étaient blanches dans le soleil et la campagne était brune et sèche. « On dirait des éléphants blancs, dit-elle. — Je n’en ai jamais vu, dit l’homme en buvant sa bière. — Non, tu n’aurais pas pu. — J’aurais pu, dit l’homme. Que tu dises que je n’aurais pas pu ne prouve rien. » La fille regarda le rideau de perles. « On a peint quelque chose dessus, dit-elle. Qu’est-ce que ça dit ? — Anis del Toro. C’est une boisson. — On l’essaie ? » L’homme cria « s’il vous plaît ! » à travers le rideau. La femme sortit du café.  — Nous voulons deux Anis del Toro. — Avec de l’eau ? — Le veux-tu avec de l’eau ? — Je ne sais pas, dit la fille. C’est bon avec de l’eau ? — Oui. — Vous les voulez avec de l’eau ? demanda la femme. — Oui, à l’eau. Un chat sous la pluie et autres nouvelles…  — Ça a un goût de réglisse, dit la fille en reposant son verre. — C’est comme tout." Lire l'extrait complet ici : La théorie de l'Iceberg chez Hemingway Dans les années 1940-1950, se développe une vision existentialiste de l'homme qui pose la question de la liberté individuelle et de la contrainte sociale. Peu à peu, après-guerre, la focalisation externe sert à représenter l'absurdité humaine et l'aliénation sociale, reflétant une philosophie pessimiste où l'intériorité est inaccessible. Le lecteur n'est plus incité à interpréter, il est forcé à se positionner face à des questionnements éthiques sous-jacents.  L'exemple emblématique reste L'Étranger d'Albert Camus (1942) dans lequel une focalisation externe plonge le lecteur dans un univers absurde. L'attitude, non explicitée du personnage central, Meursault qui vit sa propre histoire comme un observateur détaché, critiquant les normes sociales et judiciaires, crée une  impression de distance qui questionne la condition humaine et met l'accent sur sa dimension sociale et historique. Remarquons que, dans l'Etranger, l'usage de la  première personne pourrait paraitre contradictoire avec l'idée de focalisation externe, mais, en fait, la redouble : le sujet est comme à l'extérieur de lui-même.   Les années 1950-1970 sont marquées à la fois par la montée en puissance des questionnements idéologiques et des expérimentations formelles. Avec le Nouveau Roman et la narratologie structurale, la focalisation externe s'intègre à un large mouvement de déconstruction narrative (refus du personnage, du lyrisme ), elle  devient un outil idéologique pour subvertir les conventions réalistes dites "bourgeoises", questionnant la notion de fiction et la subjectivité comme des illusions idéologiques. C'est ce que Nathalie Saraute appellera :  "L'ère du soupçon". Cette ère structuraliste (influencée par Roland  Barthes et Michel Foucault) radicalise la focalisation externe. L'écriture, devenue acte de subversion, impose un anti-humanisme où l'homme est réduit à un objet observé. Exemple emblématique : La Jalousie d'Alain Robbe-Grillet( 1957) qui utilise la focalisation externe dans des descriptions répétitives et objectives, critiquant la société consumériste et déconstruisant le roman traditionnel.   La place de la focalisation externe dans la  fin du XXe et le début XXIe siècle est difficile à synthétiser. Dans la littérature de masse, celle de la plupart de best-sellers et des autofictions à succès, la focalisation interne et les approches psychologiques dominent. Cette évolution reflète des tendances plus larges : une quête d'immersion émotionnelle, d'identification rapide du lecteur, et la recherche d'une "écriture facile" qui privilégie l'engagement direct plutôt que l'interprétation subtile du type "iceberg".  Cependant la focalisation externe, même très minoritaire, n'a pas disparu. On peut la retrouver sous des formes hybrides post-modernes liées à des  préoccupations éthiques contemporaines (écologie, minorités, monde fragmenté...) et certains auteurs l'utilisent dans des expérimentations formelles pour des "unnatural narratives". On la retrouve ainsi dans l'écriture socio-ethnographie dite "plate" d'Annie Ernaux qui privilégie, malgré sa nature d'autofiction, une dimension idéologique anti-bourgeoise et la dénonciation des inégalités.   En conclusion, cette chronologie montre l'évolution de l'usage de la focalisation externe : Au départ : elle répond à un désir d'objectvité, d'efficacité dans un soucis de réalisme et de discrétion du narrateur, d'un souhait de laisser plus de place au lecteur à et à son interprétation Sans perdre les dimensions précédentes, elle évolue vers une dimension critique ou expérimentale liée aux préoccupations idéologiques contemporaines et post-modernes.    La focalisation externe reste donc un outil qui contribue, par exemple, à l'atmosphère et au suspense dans certains polars nordiques à succès, toutefois, éclipsée par l'immersion psychologique et sociale plus adaptée à un public contemporain priorisant l'empathie sur l'objectivité, la distance et l'opacité de la subjectivité humaine.    L'exemple de la focalisation externe montre d'une façon particulièrement tangible que les techniques de récit ne doivent pas être considérées comme des "recettes" mais comme des choix possibles, des alternatives qui ont un effet essentiel sur la façon dont le texte donne accès au monde qu'il crée. Elles interrogent la possibilité d'un regard objectif, notre implication en tant qu'auteur dans les effets produits par nos textes. L'écriture, art du langage, montre ici clairement sa dimension de regard sur le monde et sur l'être humain.  {loadmoduleid 197} 
03 décembre 2025
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Écriture, point de vue et focalisation Identifier le ou les narrateurs qui seront utilisés est l'une des premières étapes de l'écriture d'un récit : sera-t-il une entité non précisée extérieure à l'histoire ? Un narrateur-conteur ? Un personnage faisant partie de l'histoire qu'il raconte ? Un personnage défini, mais extérieur à l'histoire ?... Ce choix peut se faire naturellement, être de l'ordre de l'évidence ou objet d'hésitations et de doutes, cependant, une fois ce choix effectué, pour un même type de narrateur, existent de nombreuses variantes de fonctionnements concernant notamment : ce à quoi le lecteur - et le narrateur - ont accès, les différentes façons de donner - ou pas -  les informations au lecteur.   sur quel mode et au travers de quel type de regard. Ce sont toutes ces options que l'on désigne par les expressions de "choix d'un point de vue" ou d'un type de "focalisation". Point de vue et focalisation: deux notions proches, mais non superposables  Un narrateur extérieur et non identifié peut connaitre tout ce qui se passe dans la tête des personnages ou ne pas tout connaitre, il peut aussi rester totalement à l'extérieur des pensées des personnages ou même se montrer non fiable. Voir l'article : Du narrateur omniscient aux narrateurs contemporains.   Ces différentes options ( appliquées de façon plus ou moins systématique) vont avoir une influence majeure sur la façon d'écrire et, en conséquence, sur la perception par le lecteur de ce qui se déroule sur son rapport aux personnages. Écrire une fiction, c'est donc choisir non seulement un narrateur (repérable à un  pronom personnel choisi ou par son absence) mais aussi de quel endroit et de quelle façon le ou les narrateurs parlent ou, symétriquement, de qui et sur quel mode le lecteur reçoit les informations et à quelles informations il a accès ou pas.   Deux expressions sont utilisées pour préciser ces différentes options narratives : le point de vue et la focalisation. Il est tentant, et c'est souvent le cas, de les utiliser comme des synonymes, mais elles peuvent être avantageusement différenciées.    Le point de vue On attribue généralement à Henry James l’invention de ce terme. Cet auteur a utilisé, notamment dans ses nouvelles comme Le Tour d’écrou, une façon de raconter différente du narrateur omniscient classique, en effet, c’est un des personnages de l’histoire qui raconte : il donne donc son « point de vue » et l’auteur s’efface derrière ce point de vue particulier.   Le point de vue, des deux expressions, est la plus ancienne, elle a l'avantage d'être métaphorique et concrète. Préciser "le point de vue" d'un texte peut être pensé à la manière dont, par exemple, l'on "choisit son point de vue" pour observer un paysage. Elle semble plus accessible, moins technique que "focalisation" qui peut paraitre une peu "jargoneuse". Les deux expressions évoquent un dispostif optique, mais le point de vue s'accompagne d'une dimension spatiale : où se place l'œil qui raconte et comment se positionne ce regard: intérieur ou extérieur à l’histoire, à la pensée, à l’émotion des personnages…    Ainsi situé, précisé, le narrateur donne avec l'unité du point de vue, une unité au texte. Le lecteur d’un texte littéraire entre dans une expérience, celle du narrateur autant que dans un univers propre à l’auteur.    C'est un concept plus "parlant", plus naturel, mais aussi plus large, moins précis. Le point de vue peut recouvrir l'expérience subjective d'un personnage ou du narrateur, incluant des aspects comme le ton, la vision du monde ou même l'idéologie sous-jacente. Elle peut ainsi prêter à confusion : le point de vue comme opinion, façon de penser, de juger... On peut dire que le point de vue englobe la focalisation, mais aussi d'autres éléments narratifs.   La focalisation La focalisation a été théorisée par Gérard Genette dans les années soixante-dix pour éviter les ambiguïtés du "point de vue". Cette expression se concentre sur l'accès, la sélection et la restriction des informations données au lecteur, le mode de présentation des événements et des informations dans un récit, en fonction de la perspective adoptée par le narrateur. En optique, la focalisation correspond à "concentrer des rayons provenant d'un point en un autre point." L'on remarque ici la disparition spatiale présente dans l'idée de point de vue (où l'on se place) pour se centrer sur les deux pôles et le trajet de l'information.   La focalisation détermine "qui perçoit" l'histoire, c'est-à-dire le filtre à travers lequel le lecteur accède au monde narré, en limitant ou non les informations disponibles. Penser "focalisation" c'est assumer que le récit n'est jamais total, la focalisation met l'accent sur le fait que le narrateur oriente le regard du lecteur sur des éléments spécifiques, influençant ainsi la manière dont l'histoire est perçue et comprise. La focalisation sépare nettement "qui parle" (ce qu'on appelle la voix dans un récit) de "qui perçoit" les informations, le lecteur et précise les options possibles.    Le point de vue met l'accent sur la voix et sur ses concrétisations par les pronoms (première/troisième personne le plus souvent) et la subjectivité globale, tandis que la focalisation affine ce qui concerne les restrictions perceptives (zéro, interne, externe), indépendamment de la personne grammaticale.   Une des meilleures façons d'en comprendre les enjeux et les nuances entre point de vue et focalisation est d'en lister les principaux types en commençant par les types de focalisation qui répondent à des critères plus facilement repérables et resserrés. Ces différences peuvent apparaître exagérément subtiles. De plus, elles ne font pas toujours une complète unanimité chez les spécialistes. Il serait toutefois dommage de ne pas s'y intéresser, car elles éclairent des variables de la fiction fructueuses quand on pratique l'écriture.   Les principaux types de focalisation selon Genette La focalisation est déterminée en fonction des informations que le narrateur donne au lecteur : qui dispose des informations ? / ` Quelle est l'étendue de ce savoir ?   Focalisation zéro ou omniscience : le narrateur en sait plus que les personnages, accédant aux pensées de tous les personnages, au passé, parfois au futur et sans restriction de lieu. Le récit donne au lecteur une vue d'ensemble globale de ce qui se passe et des modications intérieures des personnages. Focalisation interne : Le récit est perçu et raconté à travers la perception d'un personnage spécifique, limitant les informations à ce qu'il sait, voit ou ressent. Le narrateur dit autant que le personnage en sait, mais les informations sont limitées à une expérience particulière. Le lecteur a une vue partielle, se rapproche du personnage.  Focalisation externe : le narrateur se limite aux apparences extérieures (actions, dialogues et apparences visibles), il n'a pas accès aux pensées des personnages. Il adopte une posture objective et neutre. Cela crée un effet de distance, celle d'un observateur non impliqué et ne connaissant pas les motivations et émotions des personnages. Le narrateur dit moins que les personnages ne savent ; il ne fait que décrire comme le ferait une caméra. A la lecture de cette liste, l'on mesure combien l'on pourrait créer de sous-catégories en jouant sur ce qui est dit ou caché par exemple, chaque récit original crée une façon particulière de focaliser les informations, mais ces catégories générales permettent d'en fixer les grandes orientations.    Les principaux types de points de vue  Point de vue omniscient (panoramique, mais plus ou moins partial ou orienté) Le narrateur sait tout sur les pensées, le passé, le futur et les lieux multiples, mais utilise cette connaissance pour imprégner le récit d'une subjectivité idéologique globale – comme des commentaires moraux, des jugements philosophiques ou une vision du monde unifiée par exemple une perspective humaniste ou cynique de l'humanité. Une omniscience peut chercher la neutralité, mais celle-ci ne peut être absolue, ne serait-ce que par le choix du vocabulaire : avec une complète neutralité, nous sortirions de la littérature. Le point de vue omniscient offre au lecteur une vue d'ensemble, mais s'intéresse aussi à la façon dont le texte guide le lecteur vers une interprétation plus ou moins orientée. Différence avec la focalisation zéro : la focalisation zéro se borne à préciser que le narrateur dispose d'un accès illimité aux infos sans restriction ; le point de vue ajoute une prise en compte de la dimension subjective du narrateur. Par exemple, dans Guerre et Paix de Tolstoï, l'omniscience est inséparable d'une idéologie historique et philosophique, transformant les faits en une forme d'amplification d'une vision.   Point de vue interne  (subjectif et lié aux expériences du personnage)  Le narrateur adopte la perception limitée d’un personnage, mais intègre non seulement ses sensations et connaissances, mais aussi sa subjectivité – comme ses émotions, ses souvenirs personnels ou ses biais psychologiques (comme une perception paranoïaque ou un optimisme naïf). Cela crée une immersion empathique, où le lecteur "vit" l'histoire à travers une vision du monde déformée par une expérience individuelle. Différence avec la focalisation interne : la focalisation se concentre sur l'idée que les informations se limitent à ce que le personnage perçoit ; le point de vue ajoute la manière dont cette perception est colorée par des filtres émotionnels ou idéologiques. Par exemple, dans L'Étranger de Camus, le "je", par la façon dont il choisit et limite les informations qu'il transmet au lecteur, fait sentir une forme d'aliénation et l'oriente vers le sentiment de l'absurde. Le point de vue interne n'est pas qu'une précision de la source des informations, il questionne aussi sa dimension sociale ou historique et son lien avec les expériences subjectives du personnage.    Point de vue externe (objectif, mais distancié) :Le narrateur décrit les événements de l’extérieur, comme une caméra neutre, en se limitant aux apparences visibles, mais en y infusant une subjectivité idéologique subtile – comme un ton ironique, nostalgique ou détaché qui reflète une vision du monde. Par exemple une accumulation factuelle d'objets peut se lire comme une critique de la société consumériste. Cela maintient une distance, invitant le lecteur à interpréter sans être guidé, au moins en apparence.  Différence avec la focalisation externe : la focalisation externe indique que le texte est raconté sans accès à la subjectivité et aux pensées, tandis que le point de vue cherche à rendre compte des biais individuels et des idéologies collectives. Ainsi, dans certaines nouvelles d'Hemingway, écrites en focalisation externe, le style "behavioriste" véhicule une philosophie particulière de la vie et une vision de l'homme : il ne s'agit pas seulement de constater une limitation à des observations neutres, mais d'interprétations possibles de cette façon de raconter. Les enjeux de la focalisation externe sont multiples, elles font l'objet d'un article spécifique.   On observe que malgré leur proximité, la focalisation isole la question de la donnée et de la réception des informations (c'est un filtre très précis) tandis que le point de vue s'ouvre vers la subjectivité, l'expérience et l'idéologie : c'est une notion plus large, mais moins précise et plus complexe. Elle appelle des sous-catégories. Quand on parle de point de vue, beaucoup d'options sous-jacentes sont possibles et doivent être précisées notamment  la "coloration subjective" du récit, comment ces infos sont-elles teintées par le narrateur? Par exemple, deux récits avec la même focalisation interne pourraient avoir des points de vue différents si l'un informe le lecteur d'une façon optimiste et l'autre les formule avec cynisme.    La focalisation pourrait sembler plus "faible", car plus étroite que le point de vue, mais elle donne une base précise pour identifier comment les informations sont données et disposer de cette base précise permet ensuite de nuancer, de complexifier sans tout mélanger.   Pourquoi est-ce important de prendre le temps de s’interroger sur cette question et de disposer de quelques notions sur ce sujet ?  Des combinaisons et variations de la focalisation et du point de vue sont possibles dans un même récit: de nombreux livres alternent les narrateurs et donc les points de vue à la troisième personne et même à la première. C'est l'un des espaces explorés avec beaucoup d'inventivité par la littérature contemporaine, des formes hybrides émergent par exemple des "nous" collectifs.     Question de base qui reste un sujet de nombreux débats théoriques, la gestion du point de vue et de la focalisation est aussi l’une des grandes sources de maladresses facilement repérables dans les manuscrits d’apprentis écrivains.   Plus que la connaissance précises des termes et des classements, ce qui semble important ici pour celui qui écrit est de prendre conscience qu'il serait dommage de se limiter à la question du choix du "je" ou du "il", ou de l'omniscient. Il s'agit de percevoir qu'un "je" peut être totalement transparent pour le lecteur ou ne pas tout lui livrer, et que cette dimension peut évoluer pendant le récit. Qu'un récit qui semble simplement fait "de l'extérieur" peut l'être de diverses manières ou pour diverses raisons, que ce qui est communiqué au lecteur est un choix d'auteur : par qui, avec quelle qualité (neutralté, vison de l'homme ou subjectivité), à quel moment (d'emblée, progressivement, en laissant des parts d'ombres... ) ce dernier point étant crucial dans l'écriture de la nouvelle.  Voir l'article : Focalisation externe      {loadmoduleid 197}
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Lettres en prison

Blog des ateliers de Sylvie Reymond Bagur Stage Nouvelle

Ça commence avec les livres, c'est une histoire de mots, de lettres ; mais ça passe par la prison avec les couloirs, les portes, les barreaux.

Au fond de la troisième division, la salle de classe bleue, la fenêtre grillagée et les regards d'hommes interdits de désir.

Ça flotte entre un titre de Détective « Le cambrioleur de 23 ans séduit sa professeure de 40 », et un texte de Marguerite Duras : « C'est alors, au bout d'un moment que la jeune fille a dit qu'elle préférait qu'il en soit ainsi entre elle et lui, elle a dit que ce soit tout à fait impossible, que ce soit tout à fait désespéré. »

Une longue correspondance, les mots et les aveux, le chantage parfois, mais un commun besoin d'histoire : d'histoire d'amour, et - ou - une partie d'échecs, avec les pièces qui se placent, la toile qui se resserre.

Les premiers coups sont lancés très vite ; la stratégie, inconsciente, devinée et acceptée renvoie à l'écho d'une faute imaginaire, aux fantasmes de l'enfermement, au besoin de lire, de rêver, d'entendre ces signes qui en recouvrent d'autres ; on joue sur la révolte, la tendresse qui barre la voix du désir. Insinué dans une lettre, retenu par les barreaux, sa violence même est un délice empoisonné ; que dans son errance il ait trouvé un objet sur lequel se fixer, qu'elle soit cet objet, qu'il la dépasse, elle le sait ; mais elle aime la douceur tendue qu'elle ressent à en être la proie consentante, absente et rêvée

La lettre interdite qu'on glisse parfois entre deux passages de portes ;qu'on oublie sur un bureau de collège avec ses graffitiinscrits dans le bois,

là, au cœur de l'absence et de l'interdit, c'est la voix du corps qu'elle attend, qu'elle provoque.

Elle ne veut pas penser qu'un calcul soit possible, qui seul la mette en scène .

Avant le premier contact avec la prison, un univers se pose :

panique et attirance.

Saint Genet, les menottes qui deviennent roses,

l'adolescent trop beau pour être condamné,

son cou offert à la caresse de la lame

Lieu de virilité provocante, de viols, de fange et de misère,

d'otages et de poignards.

Derêve. De cauchemar.

« Pour affronter la réalité », elle accepte d'enseigner là-bas.

On lui avait dit Fresnes ; la cour à traverser, les grilles : la première, la seconde, la troisième… On ne sait jamais quand elles arrêtent de se fermer. On lui avait dit le long couloir qu'un détenu, un numéro, cire régulièrement au risque d'y glisser.

Elle savait, c'était prévu.

Mais elle ne savait pas l'Horloge arrêtée au-dessus du fronton du portail, ni le poids et le claquement des grilles et des clefs, ni les fils de fer barbelés en spirales sur les murs extérieurs ; ni, surtout à l'intérieur, les filets tendus au premier étage, d'une balustrade à l'autre : le suicide interdit, mais concret, palpable entre les mailles.

Une tension entre silence et hurlements.

Un corps qui tombe.

C'est peut-être ça la première rencontre avec la prison.

Là — bas, dans la salle d'écoliers du fond, qu'on pourrait croire séparée des autres sans les trois étages de fenêtres grillagées qui lui font face, l'arrivée des étudiants.

Ils n'ont pas l'air de truands ; c'est quoi, un truand, à quoi ça ressemble ? Des cheveux rasés ? Des regards par en dessous ? Des poings de brutes ? Des corps marqués au couteau ? Ça a un air spécial ? Un regard, peut-être ? Rien en tout cas des airs bruts, butés, des portraits-robots.

Sourires et serrements de mains

Des hommes.

Qu'ils puissent être dangereux, elle l'oubliera vite ; d'autres, peut-être. Elle s'en rendra compte à son corps défendant : une nuit, à 3 heures du matin elle est réveillée par de bruits violents, et se retrouve hurlant devant la porte de son appartement, qui oscille, à moitié défoncée. Constat des flics : « Ils avaient un pied de biche » ; redoublement de peur rétrospective… mais quand elle dira aux étudiants qu'elle a failli être cambriolée, elle éclate de rire avec eux.

La voici coincée entre deux sortes de portes, qui ne peuvent être que défoncées ou hermétiquement closes ; elle n'arrive pas à faire le joint, à penser que ceux-là mêmes avec qui elle rit auraient pu être derrière sa porte. Ici, elle ne voit que des hommes qu'elle doit préparer à l'examen : enjeu : 3 mois de remise de peine.

Au programme ; « LES FLEURS DU MAL » parmi les premiers textes étudiés : Spleen ; l'explication a été mise au point ailleurs, presque familière, rassurante ; elle coule, d'abord, scolaire :

… « Quand la pluie étalant ses immenses traînées

D'une vaste prison, imite les barreaux… »…

D'un coup, le voile des mots disparaît , les barreaux se dressent sur ces visages

Sans noms, ces visages.

Le texte s'efface, rendu à l'objet, au palpable, auxcorps entravés.

Plus tard, un autre poème :

« Mon cœur est un palais flétri par la cohue » :… flétri, marqué au fer rouge ; regard d'un détenu qui reprend « Marqué au fer rouge » : la marque n'apparaît pas : pas d'épaules cicatrisées, pas d'uniformes, pas de têtes tondues ; mais les menottes encore inscrites autour des mains, et les autres marques, invisibles : le poids des choses, le poids des portes ; des cris, des clefs.

Elle ne connaît pas, elle imagine. Elle se tait.

Eux ne se taisent pas.

Il est là possible de parler de ce qu'on croirait tabou. Comme à quelqu'un qui vient de perdre un être cher, on peut parler de la mort, à un prisonnier on peut parler de la prison,et même ne parler que de ça. Jusqu'où ? À quel moment la parole devient-elle blessure ?Quelle blessure ? Comment les mots s'agencent-ils en fuite, en nouveau rempart, en mur qui protège des autres, en corps étranger ; armure ?

Mots de chair, qui s'arrachent du corps et de l'âme pour en dire les frustrations, les blessures, s'enfouissant au plus profond, dans les silences ou le secret ; inoubliable oubli.

C'est de ces mots qu'il va s'armer pour l'interpeler, la conquérir, toute bardée de défenses qu'elle soit. L'angoisse et la solitude doivent se percevoir dans ses regards, ses paroles, ses silences, alors qu'elle se croit familiarisée avec la prison.

« Epilepsie », premier échange et première passe d'armes :prenant prétexte de Flaubert et de Dostoïevski, il se présente.

Le cours se poursuit, le mot fait écho, il ne sera plus oublié avec la brume sauvage qu' il porte en lui ; C'est plus tard qu'elle retrouvera le dernier vers du « Condamné à mort »de Genet : « Il paraît qu'à côté vit un épileptique ».

Désormais, il ne restera plus qu'à placer les pièces, avec quelques coups de force, quelques moments de retrait, quelques absences.

Il assiste d'abord régulièrement au cours, assis tantôt au premier rang, sous ses yeux, tantôt le plus loin possible ; longs regards transperçants, et, parfois, quelques paroles qui semblent plonger au sein de l'œuvre, l'éclairent autrement,'qu'elle attend pour nourrir son cours, comme un aveu.

Un jour, alors qu'ils sont tous sortis, et qu'elle est restée seule dans la salle de cours, il revient, lui serre la main et repart, sans un mot. Quelque temps plus tard, il s'absente ; elle le croise dans le couloir, avec d'autres détenus ; ils avancent en rangs, contre le mur. Un regard s'échange, au bord du sourire, intrigué et tendu d'un mur à l'autre.

Puis il revient sans donner d'autre explication à sa « désertion » , sinon un mot mystérieux l'accusant de maladresse. Elle ne comprend pas.

Il écrit.

D'un cahier d'écolier tout neuf, après plusieurs hésitations il lui tend une feuille: « Mes fenêtres », inspiré par Baudelaire : « J'aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais ».

Un frisson.

Le silence s'est posé par delà cette nuit de la vitre, au-delà des murs et du temps présent, je surprends ce silence qui s'étire sur la grève des jours perdus. Les rues s'endorment, les murs se déchirent dans la voix mutilée du verbe ; alors les choses du monde se reposent, mais de l'astragale que tu cueillais, lentement s'exsude le songe centenaire et, malgré les chaînes de ma prison, le rêve cavale vers toi…

Je saurai te dire la légende, celle où je t'ai aimée de cette passion qui fait les fous ou les génies, et les damnés du vent .
Écoute, Nesrine, lorsque le vent se fait tempête et dévaste le monde ; quand certains rêvent de savoir rêver et qu'alors mon rêve ne me laisse pas de répit. Écoute Kaïra, comme ton cœur battait sans mesure le chant de l'immortalité fragile, et , comme, aux détours de ton geste, me découvrait les voiles, ceux de la dernière pudeur : cette chaude nudité où le regard se faisait brisure…

Nadja , dis-moi, le silence s'est-il posé ? Où est cachée la profondeur des mots ; ces mots magiques où tu m'avouais la blessure, là où le sang , rouge, coule et dessine une cavale que je buvais… Là où tu renaissais, où tu mourais tant de fois de ne pas savoir être orpheline de moi. Cette nuit, je te regarde , fixement, dans cette lucidité fiévreuse du lendemain des longues veilles, et, si le monde des choses est incertain, elles se dessinentdans le regard sombre de l'amour perdu.

Tu le sais, toi, l'écume du temps et un geste, un regard, un mot migratoire, migratoire…
Et ce n'est qu'un frisson, …. " je vous aime" AB

Le texte la bouleverse.

Du « je vous aime » final, elle sent la caresse, mais ne veut pas se l'approprier ; elle l'offre aux autres femmes, aux femmes d'ailleurs .

Pour elle, « mûre, ridée déjà », la déchirure d'une voix, des chuchotements incompréhensibles.

Plus tard, il écrira, « Nesrine, c'était vous »

Pour le moment, elle joue l'innocence, convaincue qu'avec les vacances tout s'estompera,mais la prison l'obsède ; tremblante de ne pas être à la hauteur de sa fonction, intriguée par certains pesants silences des prisonniers qu'elle attribue à ses failles.

Une nuit, elle rêve qu'ils sont l'un en face de l'autre, séparés par les barreaux d'un cadre en bois ; elle est la prisonnière.

Seul rêve de la prison, pour le moment, les images restent à la lisière, tyranniques, omniprésentes ; elles seront les agents silencieux de ses dérives.

Le dernier jour du trimestre, elle n'arrive pas à quitter ses étudiants, deux mois de vacances, la fin des cours pour eux, enfermés ; avec pour unique distraction les rares visites en parloir, sous l'œil des gardiens. Elle les embrasse ; il la saisit par les épaules, la regarde, un temps suspendu qu'elle emporte, absente à elle-même.

Une convocation immédiate chez le directeur la ramène à la réalité : on n'embrasse pas les prisonniers.

Ça devrait s'arrêter là ; mais déjà, prétextant une réflexion sur la poésie qu'il a glissée sur son bureau, il lui écrit ; elle répond en donnant son adresse personnelle.
C'est le commencement d'une correspondance plus intime, lettre après lettre, de plus en plus proche .

Elle envoie des livres : Rilke, Kafka, Lowry, Faulkner ; d'autres bruits, d'autres fureurs, qui, elles aussi, conduisent en prison : le procès, le suicide, lent ou brutal, l'alcool ; la solitude, toujours, et les barreaux, séparation sans recours.

Elle apprend la prison et ses habitants, les histoires des autres, ses histoires à lui : l'enfance perdue dans un foyer à Lille ; la passion pour une de ses sœurs ; la drogue, les cambriolages, la violence, l'ami d'enfance condamné pour deux meurtres.

Il raconte aussi ses amours blessées, un prof de sa première adolescence qui le recevait chez elle, l'emmenait en vacances et à qui il offrait des fleurs avec de l'argent volé. Invente-t-il ?

De sa femme, d'abord, il ne parle pas ; puis de moments heureux ; puis de souvenirs douloureux : l'annonce , au cours d'une de ses visites, qu'ellelui annonce qu'elle le quitte pour un autre du même prénom.

« Une histoire d'amour qui s'est brisée sur les vitres du parloir »

Elle réalise plus tard que c'est à peu près de ce moment-là que date leur correspondance.

Elle ne met jamais en doute ce qu'il écrit comme s'ils tissaient l'histoire ensemble.

Un roman à deux voix s'ébauche. Serait-ce une partie d'échecs ?

Peu à peu, la cellule devient familière, avec ses échappées vers le ciel, les bruits de la journée en écho, incessants ; cris, interpellations, clefs claquant les unes contre les autres, ouvertures, fermetures, ordres. Le silence, enfin, à minuit, jamais total, lorsque les lumières s'éteignent.

Il décore les murs des images qu'elle lui envoie et qui disent toutes une beauté désespérée ; d'abord rien de féminin puis des visages de femmes, cachées derrière le voile de Knopff ; puis des corps qui rêvent, solitaires, abandonnés, offerts.

Et, il y a les échecs… les échecs « phéériques », une poésie. Un tournoi entre détenus est un véritable événement, les paris se font à l'étage, mais quelque chose dépasse le jeu : « je gagnerai avec toutes mes incertitudes, je gagnerai ». Il gagne.

A-t-il joué ?

Le reste sera comme embué, flottant. Les feuilles couvertes de la petite écriture apparemment nette et sage, la boîte à lettres vide ou pleine sont littéralement obsédante, seule réalité malgré la folie des corps séparés ; le désir vit et s'accroit de cette séparation même.

Errance, arrachement, rêve, douceur douce d'un dialogue qui croit se construire ; illusion de limpidité qui les perd dans une opacité croissante. Pas un geste qu'elle n'accomplisse dont il ne soit le témoin absent. Un jour, il lui écrit une « dérive ; des pas dans les pas ». C'est ça. Toute parole lui est dédiée, et celles qui n'osent pas se dire,crient dans les silences et les blancs du texte.

Les lettres comblent le temps des vacances scolaires. Tout effort pour se retirer est impossible, d'autant plus que la maladie revient… La solitude d'une crise d'épilepsie, dans une cellule, de l'imaginer simplement, elle ne supporte pas. D'autant plus qu'en période de crise, il écrit peu, les mots semblent échapper, informels, parfois incohérents ; l'écriture même est comme un cri silencieux entre les lignes et les lettres espacées.

Convalescent, il raconte sa première crise, telle que sa mère la lui aurait racontée, en ajoutant : « Meshoud, habité, hanté… ». Il est tout enfant ; son père, déjà installé en France vient accueillir la famille à l'aéroport. Quand il veut embrasser son fils, celui-ci le repousse. C'est la première gifle et la première crise, oubliée ; une autre, dont il se souvient, lui ressemble étrangement : adolescent, il a battu son père qui l'a giflé et maudit « pour sa vie, pour sa mort et pour l'au-delà ». C'est aussi le début des fugues et d'autres pertes de conscience.

« Habité, hanté »… par un père qui revenait, ivre et tenait les enfants éveillés pour leur raconter son histoire magnifiée, réciter des contes arabes ou des versets du Coran ; un père qui a transmis ses blessures d'avoir été arraché très tôt à ses parents, puis à sa terre trahie ; l'Algérie désertée par un engagement dans l'armée française.

Un père fou, un traitre.

Elle pense alors à l'Algérie, faute de toute une génération ; à sa propre enfance d'après guerre, protégée, privilégiée ?... Mais les portes qui claquent, les scènes, les cris… ; sa tante folle qui tournait en ressassant pour elle seule tout le mal qu'elle souhaitait à ses voisins

Elle pense.

À la gifle qu'elle a donnée à sa mère dont elle garde le rouge au front ; à ses fugues qui ne duraient jamais plus d'une heure,
À son père, sa main d'enfant blottie dans la sienne, rassurée, à son odeur, leur complicité.

Et la mort, fulgurante. Une béance dont elle ne s'est jamais remise. À jamais sansrempart.

Deuils sans fin ; d'être écrites les plaies s'ouvrent à nouveau, nourries des siennes à lui. Et là-bas, sur les routes de campagne qui l'éloignent des barreaux, elle rêve de mots dont la caresse abolirait la souffrance, la mémoire du corps blessé pour le rendre à lui-même intègre, nouveau-né.

Elle écrit, chaque jour :les choses qui l'entourent ; le grenier qu'un déménagement a laissé à moitié vide, avec encore quelques livres, une table, un lit et les photos sur les murs. Les balades et l'arrière-pays brumeux ; l'étoile qu'il voit peut-être, entre les barreaux… s'il suffisait de tendre la main !

L'histoire se précise et se fait de plus en plus floue. Elle recrée un parcours, malgré les silences. Les écritures qui changent paraissent modelées l'une sur l'autre dans un réseau de mots et d'expressions communes.

Le « vous » est de rigueur. Deux seuls « tu » jailliront avec la violence d'une caresse interdite.

À la rentrée, il est libéré.

Je vais le chercher.

Il s'éloigne, grand et élancé, élégant, de la prison.

Libre.

Le temps des lettres est passé. 

Concours de nouvelles
La maison d'en face
 

Commentaires 1

Invité - Annie-Flore le samedi 19 octobre 2024 09:15

Une superbe écriture, poétique et forte, qui emmène et soulève le lecteur. Un rythme et un développement qui ajoute à l'adhésion vers un univers inconnu et des émotions en revanche plus partagées et qui participe à un grand plaisir. Bravo !

Une superbe écriture, poétique et forte, qui emmène et soulève le lecteur. Un rythme et un développement qui ajoute à l'adhésion vers un univers inconnu et des émotions en revanche plus partagées et qui participe à un grand plaisir. Bravo !
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"Un livre doit remuer les plaies. En provoquer, même. Un livre doit être un danger." Cioran

"J'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l'aventure d'être en vie."Henri Michaux

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