Par Delphine C. le mercredi 23 juillet 2025
Catégorie: Textes d'ateliers

Les bijoux de famille

Je descends de voiture avec ma chair mère. J'ai écouté scrupuleusement ses indications,

empruntant son itinéraire pour se rendre à la Grande maison comme elle dit. Je la laisse me

guider, encore et encore cette fois. Elle vit seule dans un petit appartement en ville, depuis

quelques mois.

Nous approchons du portail en planches de bois, peint en blanc autrefois, avec un trou béant

créant une chatière naturelle facilitant le passage du chat. Le chat Mao a immigré dans un pays

voisin. Il a trouvé une bonne maison.

Il est vraiment pourri ce portail ! Il a vieilli comme les occupants…

Pour l'ouvrir, un jeu d' adresse du à l' absence de poignet.

Il faut soulever le levier.

J'entends le bruit de la clenche. Ce son raisonne à mes oreilles, sorte d'hochet de mon enfance.

Oui papa, tu étais un ingénieur de la débrouillardise, fervent du système D.

Traverser la cour en grandes enjambées, sans m'appesantir, construite en dalles de pierre

irrégulières, encadrées par des géraniums rouges.

Dalles de pierre, mon cerveau boucle…toujours arroser les géraniums. Papa Pierre, tu es mort l'

été dernier avant la saison des tomates.

Glisser la clé dans la porte d'entrée grise, j'inspire à l ouverture tel un réflexe archaïque. Pas d'

odeur de rôti de veau du dimanche, pas de parfum des croquants, pas, pas, il y a plus. Qu'est

que je croyais ? Bizarre mon cerveau !

Cette maison est vide de gens.

Je suis immobilisée dans le hall devant le porte manteaux, il y a une veste qui pend, j' ai pas envie

d'enlever la mienne, ni de laisser mon sac.

Ma tendre mère se dirige vers le fond de la maison, je la suis jusque dans sa chambre comme une

fille suit sa mère. Nous traversons la salle de bain dotée d'une baignoire d'angle et de grands

tableaux de nus féminins, ces femmes offrent une présence accueillante à notre passage. Ma

mère ouvre la porte de sa chambre.

Je suis admirative de la grandeur de la pièce, les poutres au plafond, les rideaux épais au motif

floral, la housse de couette de flanelle. Au fond de la piece, un mur cache un grand dressing, où

toutes les toilettes de ma mère sont rassemblées , elle disparaît derrière. Je marche sur le

plancher de la chambre en faisant couiner des lames de bois sous mes pieds.

Elle a du retrouver le coffre fort.

Depuis quelques jours elle a une idée en tête : trouver la chevalière de mon père ..et la faire

fondre.

Ho,papa cette chevalière…que tu exhibais le dimanche quand tu avais enfin fini de jardiner.

Fondue pour réparer ma chaîne de baptême, fondue pour créer une nouvelle chaîne vers ma fille

aînée.. fondue pour être transformer, les idées en or ne manquent pas dans la tête de ma mère.

Cette semaine, en plus, en allant à la boulangerie ma mère a perdu l'autre bague offerte par mon

père… en allant à la boulangerie, elle, la fille du boulanger. C'est une étrange synchronisité.. Elle s'

en veut, elle dit ne pas aimer perdre, la nouvelle veuve.

Finalement, je me suis assise sur son lit pour l'attendre.

J'ai attrapé un dossier sur une étagère que je n'avais jamais vu jusqu'à maintenant : Scolarité .

Ah trop bien !

je l' entends marmonner, ronchonner

Pff pff… ce coffre

Je l'interpelle : "maman tu as besoin d'aide ?"

" Oui, viens voir par là pour que je t'apprenne à l'ouvrir, c'est deux tours 1/4!"Ho maman, c'est le moment d'apprendre. Je ne sais pas si j'ai envie d'apprendre. Je me plonge

dans mon adolescence, je scrute mes bulletins de note de 3eB, mon carnet de correspondance,

je lis avec avidité les commentaires des professeurs sur moi.

Et toi, tu me convoques ! Toi mon premier professeur à apprendre à ouvrir le coffre.

" Tous les jours, il faut apprendre quelquechose Delphine " tu enchaînes.

Je cède après avoir lu.. poursuivez vos efforts par Mr Hostein, le professeur d'histoire.

Je me lève, récalcitrante, entre dans le dressing et l'a voit toute petite accrochée à l'imposant

coffre en acajou. Je me glisse à côté d'elle et je le déverrouille

"Après il faut que tu t'entraines pour aussi trouver la serrure cachée".

Ok …ok je m'applique, je suis capable d'être une élève sérieuse, c'est écrit..je viens de le lire.

Je me familiarise avec le mécanisme de cet objet, surprise de tant de d'ingénierie et impatiente de

retourner à mon " Moi adolescente".

Je la laisse avec ses enveloppes, ses livrets, elle brasse ses papiers.

Je m'engouffre de nouveau, dans ma lecture, je ne veux pas savoir ce qu elle a dans ce coffre, je

me sens pas concernée. Je suis trop petite Maman.

Je ne veux pas que tu me transmettes tes secrets.

D' ailleurs,il y a écrit sur un de mes bulletins, élève discrète.

"La clé après, je la mets ici, Delphine !"

Je hoche la tête, j'attrape la pochette de ma scolarité, je vais l'emmener là, de suite à 52 ans. Ça

va m' être drôlement plus utile que de savoir où elle dissimule la clé..

Ma mère a jamais su voir l importance des choses pour moi.. je suis d'une mauvaise foi qui

m'épate.

Elle quitte rapidement sa chambre et je la retrouve dans le jardin au royaume de mon père défunt.

La glycine blanche est en fleurs, j 'apprends que ma sœur l'a offerte à mes parents en l'emmenant

dans sa voiture C3, directe de Haute Savoie.

A quoi ca va servir cette info là ? Mon cerveau ne sait pas la traiter..

Ma mère passe dessous la glycine, et les fleurs égaient sa petite tête, je lui enlève avec

délicatesse sur ses cheveux fins comme de la soie.

Je loue ces capacités à s'adapter au départ de mon père.

Elle arpente le domaine. Je lui emboîte le pas ..pour l'entourer.

Mon père avait taillé un buis en forme de loup pendant des années, le loup comme le chemin où

ils habitaient ensemble.

Le loup a pris la maladie comme lui, une sorte de papillon qui l'a emporté.

Le buis est amaigri et gris, je le regarde de loin, il fait peur ce loup, je reste à distance de 5, 6

mètre, au moins.

Il va falloir l'arracher comme une dent.

Il reste plus que les dents quelquefois.

Mon cerveau s emballe…

Des arbres, des plantes ont résisté au départ de mon père mais pas le loup.

Ni grand, ni assez méchant.

Tous les deux Pierre et le loup se sont volatilisés du jardin. Aucun ne souhaitait voir les

gros bulldozers débarquer sur le terrain pour construire une nouvelle route de goudron divisant le

terrain.

Ensemble, la clé des champs ils ont trouvé, elle s'écrit LIBERTÉ! 

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